Les footballeurs sont-ils trop payés ?

D’un point de vue économique, les footballeurs sont évidemment trop payés. Leurs salaires représentent environ 50% des charges des clubs de football français qui sont pour la plupart déficitaires. Des dirigeants rationnels veilleraient à maîtriser ce poste de dépenses pour atteindre à minima l’équilibre financier.

D’un point de vue moral, la réponse paraît aussi évidente. Comment un jeune inculte peut gagner plus de 15 fois en moyenne le salaire d’un professeur de lycée pour taper dans un ballon ? Qu’est-ce qui peut justifier que Zlatan Ibrahimovic gagne en un mois pour marquer des buts ce qu’un ouvrier au cours de son pénible labeur de 42 ans ? Indéfendable a priori, essayons quand même !

Une autre forme d’élite

Le parcours classique d’un footballeur professionnel français est un écrémage permanant et violent, fait de nombreux sacrifices. La première sélection permet aux 1 000 meilleurs jeunes de 13 à 18 ans d’intégrer successivement un centre de préformation puis de formation. Les apprentis footballeurs vivent alors loin de leur famille, dans un environnement extrêmement compétitif qui laisse peu de place à la moindre faiblesse physique ou psychologique. Ils suivent en parallèle de leur formation sportive une scolarité aménagée qui les prépare mal à une carrière traditionnelle en cas d’échec. En 2002/2003, seuls 59 joueurs issus d’un centre de formation sont parvenus à signer un contrat professionnel. Les autres ? Sur le carreau ! Ils alimentent au mieux les clubs amateurs, au pire les statistiques du chômage. La formation française brasse beaucoup d’individus pour n’en amener que très peu dans l’élite.

Parce qu’il s’agit donc bien d’une élite. A 25 contrats pour 40 clubs professionnels de Ligue 1 et Ligue 2, il n’y a que 1 000 postes, dont 50 à 100 à pourvoir chaque année. Les places sont bien plus chères que pour les élites intellectuelles, seule forme d’aristocratie légitime en France, avec ses 1 000 sénateurs et députés, 50 000 avocats, 270 000 médecins…

On pourrait donc inverser la hiérarchie des élites dans les esprits pour établir la suprématie des sportifs. Je ne saurais pas mieux le faire que Boris Vian dans l’herbe rouge : « On essaye de faire croire aux gens, depuis des générations, qu’un ingénieur, qu’un savant, c’est un homme d’élite. Eh bien, je rigole ; et personne ne s’y trompe, sauf les prétendus hommes d’élite eux-mêmes. Monsieur Brul, c’est plus difficile d’apprendre la boxe que les mathématiques. Sinon, il y aurait plus de classes de boxeurs que de classes de calcul dans les écoles. C’est plus difficile de devenir un bon nageur que de savoir écrire français. Sinon, il y aurait plus de maitres baigneurs que de professeurs de français. Tout le monde peut être bachelier, Monsieur Brul… et d’ailleurs, il y a beaucoup de bacheliers ; mais comptez le nombre de décathlon. Monsieur Brul, je hais mes études, parce qu’il y a trop d’imbéciles qui savent lire : et ces imbéciles ne s’y trompent pas, qui s’arrachent les journaux sportifs et glorifient les gens du stade. Et mieux vaudrait faire l’amour correctement que de s’abrutir sur un livre d’histoire »

A risque supérieur, rémunération supérieure

Un joueur professionnel a sacrifié une partie de son enfance et pris tous les risques pour atteindre son rêve et mener une carrière elle-même risquée. Le premier contrat n’est en effet pas le début d’un long fleuve tranquille. Le footballeur est un travailleur précaire : contrat à durée déterminée, outil de travail fragile et rapidement obsolète. Sa carrière dure au maximum une dizaine d’année et peut s’arrêter du jour au lendemain si son corps en décide ainsi. Sa reconversion aussi est difficile.

Pour un salaire moyen de 45 000 € en Ligue 1 ou 10 000 € en ligue 2 et une carrière de 10 ans, un footballeur français peut espérer gagner un peu plus de 3 millions € sur sa carrière. Un salarié français traditionnel gagne en moyenne 2 100€ par mois, soit 1,2 millions € sur une carrière de 42 ans. Au vue des sacrifices consentis, du risque pris et de la sélection drastique, l’écart pourrait même paraître insuffisant : « higher risk, higher return ! »

L’utilité sociale du footballeur

Enfin, avant de blâmer le footballeur parce qu’il touche un salaire soi-disant exorbitant pour vivre son rêve, il ne faut pas oublier tout ce à quoi il contribue. Selon une étude Ernst & Young, chaque footballeur professionnel génère 25 emplois. Leurs revenus rapportent 570 millions € à l’administration fiscale. Non négligeables dans ces temps où François Hollande ne parvient toujours pas à inverser la courbe du chômage et à tenir ses objectifs de réduction des déficits.

D’ailleurs le Président de la République reconnaît l’ultime utilité sociale du footballeur : le divertissement. Lundi dans son discours aux athlètes de l’équipe de France, il rappelait que « seul le sport peut parfois donner cette impression par procuration. Vibrer avec eux lorsqu’ils pleurent, sourient et accèdent à une victoire… ». Le divertissement protège ainsi l’homme du désespoir. Le football n’est qu’un jeu, mais il permet en effet d’occulter un temps le malheur constitutif à notre existence, notre condition d’être exposé à de multiples soucis. Footballeurs, continuez-donc de nous offrir du spectacle !

Malgré tout, si vous n’êtes toujours pas convaincus qu’un footballeur peut mériter de gagner plusieurs dizaines de milliers d’euros par mois, alors tâchez au moins d’être cohérents. Les footballeurs professionnels sont en grande partie payés grâce aux droits audiovisuels : essayez donc d’éteindre votre poste de télévision !

Par défaut

Les cent jours de Gervais Martel

A la fin des années 1980, Lens est en plein chaos quand survient l’homme providentiel. Gervais Martel monte sur le trône pour rétablir la prospérité, structurer le club et combler le peuple sang & or de trophées et d’épopées héroïques hors des frontières.

Puis le temps passe, Gervais Ier perd de son génie mais refuse d’abandonner son ambition de rayonner sur la scène Européenne : le club rentre dans le rang et ne peut plus assumer son train de vie. Le 2 juillet 2012, Gervais Ier doit alors renoncer à sa couronne après 24 ans de règne. Ruiné, trahi par des fidèles et lâché par le peuple lensois lassé des campagnes en Ligue 2, Martel laisse à ses créanciers un RC Lens aux abois financièrement et atone sur le plan sportif.

En exil, Gervais Martel s’ennuie. Le golf est si fade à côté d’un stade Bollaert en fusion ! Les uniformes sang & or, le bruit des crampons, les tambours aux rythmes des corons sur le champ de bataille, les rations de frites – et la bière ! – partagées avec ses grognards : tout lui manque. Très vite, martel travaille donc l’idée d’un retour.

Les Maréchaux Papin et Blanchard, fidèles parmi les fidèles, activent leurs réseaux diplomatiques et concluent une alliance inespérée en Azerbaïdjan. Qui est ce souverain prêt à replacer Gervais sur le trône du RC Lens ? D’où vient sa fortune ? Tiendra-t-il ses promesses ? Qu’importe ! Gervais pourrait vendre son âme pour retrouver le peuple lensois qu’il a tant aimé. Et le moment est ideal. L’intérim des nouveaux dirigeants peine à convaincre et doit toucher à sa fin. Bollaert, qui gronde, peut déjà tout pardonner à son héros qui lui promet le lustre d’antan. Martel et son nouvel allié vont faire de Lens un des plus grands clubs d’Europe. Les clubs Prusses et Anglais peuvent trembler !

Les premiers mois sont encourageants et donnent du crédit aux promesses. Bollaert retrouve rapidement de la voix et soutient son armée. Martel gagne sa première bataille et offre au peuple le retour en Ligue 1.

Pour valider définitivement son retour dans le concert des grands clubs français, Martel doit maintenant vaincre les troupes ennemies de Richard Olivier qui promet que « Lens ne finira pas la saison ». Sûr de ses forces et proche de la victoire, Martel ordonne alors à son nouvel allié Mammadov de marcher sur Olivier. Imprévisible, Mammadov ne s’exécute pas et préfère s’empiffrer de fraises. En privant Lens de son or, il change alors la victoire en bain de sang. Le Général Kombouaré, héros de la dernière campagne déserte. Olivier ordonne la capitulation. « Merde ! », Martel lance la charge à la tête de ses Marie-Louise. De jeunes combattants tels que Bourigeaud, Gbamin et Cyprien se distinguent par leur héroïsme. Mais trop tendre et inexpérimentée, cette armée de jeunes hommes est vite engloutie.

Martel devra donc capituler pour la seconde fois, en laissant un club en lambeaux. Y-aura-t-il un Talleyrand qui veillera à ce que Lens ne soit pas rayée de la carte ? Le temps presse désormais et il est temps pour le Racing Club de Lens d’écrire une nouvelle histoire. Mais n’oublions pas. Comme de Gaulle disait de Napoléon, Martel « va laisser Lens plus petit qu’il ne l’avait trouvé, soit. Mais un club ne se définit pas ainsi. Pour Lens il devait exister… Ne marchandons pas la grandeur. »

Par défaut